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Louis Berlioz, pionnier de l’acupuncture

Dans les rares Histoires de la médecine où figure le nom de Berlioz, il est invariablement suivi de la mention : « médecin français, père du compositeur », ce qui n’est certes pas le moindre de ses mérites. Mais cantonner Louis Berlioz au rôle d’illustre géniteur, c’est ignorer le rôle fondamental qu’il exerça, non seulement comme éducateur pour son fils, mais également comme médecin précurseur de l’hydrothérapie et surtout de l’acupuncture.
Louis Berlioz, né en 1776, dans la petite ville dauphinoise de La Côte Saint-André est issu d’une famille de bourgeois établie dans le pays depuis près de quatre siècles. Son père, Louis Joseph Berlioz, homme sanguin et plutôt tyrannique, riche propriétaire terrien, avait fait fortune dans les tanneries dont il avait acquis le quasi-monopole dans la région de La Côte Saint-André. Auditeur à la Chambre des Comptes du Dauphiné, exemple du notable bourgeois de la fin de l’Ancien Régime, il fit de surcroît ce
qu’il était convenu d’appeler « un bon mariage » avec sa cousine Espérance Robert. De cette union naquit trois ans plus tard Louis Berlioz, leur deuxième fils. Son frère aîné était déjà mort depuis un an, et cinq de ses frères cadets moururent en naissant.
Le petit Louis, rescapé de cette véritable hécatombe, n’hérita pas pour autant la santé presque provocante de son père. Frêle, pour ne pas dire maladif, d’une timidité confinant au repliement, Louis traversa en les subissant les combats de son père et les remous de la Révolution.
A La Côte-Saint-André, celle-ci ne fut pourtant pas sanglante et si l’oncle Claude Berlioz, curé de la paroisse, ne dut souvent son salut qu’à la fuite vers la Suisse, ce qui ailleurs fut une tourmente révolutionnaire ne fut dans cette paisible bourgade dauphinoise qu’un gros orage ; tout au plus La Côte- Saint-André fut-elle rebaptisée La Côte-Bonne-Eau.
Pendant ce temps, le jeune Louis se nourrissait de Condillac et de Jean- Jacques Rousseau, lectures qui marquèrent profondément l’adolescent rêveur qu’il était devenu.
C’est donc tout naturellement porté par l’altruisme de ces maîtres et de son caractère qu’il aborde les études médicales vers sa vingtième année. Il se maria, encore officier de Santé, à vingt-six ans, avec Mademoiselle Marmion, fille d’un avocat du Parlement de Grenoble, demoiselle distinguée et mondaine, mais de personnalité rigide, despotique et plutôt exaltée.
En décembre 1802, Louis Berlioz fit un aller et retour à Paris, le temps d’être reçu médecin le 26 Frimaire an XI.
Presque un an plus tard, Madame Berlioz mit au monde un garçon qu’on prénomma Hector.
Installé à La Côte-Sainte-André, le docteur Berlioz se consacre à la clientèle avec une ardeur limitée. Sa fortune personnelle ajoutée à un manque relatif d’ambition, font de lui un médecin obligeant et charitable, dévoué aux pauvres qu’il soigne, mais peu soucieux d’accumuler les actes qu’on lui paie pourtant honorablement (ainsi prenait-il deux francs pour une visite, ce qui pour l’époque et la province était fort convenable).
Praticien honoré, homme cultivé, ouvert aux idées nouvelles, le docteur Berlioz assume seul l’éducation de son fils. Peu actif, son indolence en imposerait pour de la paresse. Sa timidité et son détachement philosophique, joints à la présence d’une femme chaque jour plus vindicative et irascible expliquent en fait cette attitude.
Laissons à ce sujet parler Hector Berlioz qui, dans ses Mémoires, le dépeint avec une certaine justesse :
« …Mon père était médecin. Il ne m’appartient pas d’apprécier son mérite. Je me bornerai à dire de lui : il inspirait une très grande confiance, non seulement dans notre petite ville, mais encore dans les villes voisines.
«…Il a toujours honoré ses fonctions en les remplissant de la façon la plus
désintéressée, en bienfaiteur des pauvres et des paysans, plutôt qu’en homme obligé de vivre de son état.
« Un concours ayant été ouvert en 1810 par la Société de médecine de Montpellier sur une question neuve et importante de l’art de guérir, mon père écrivit à ce sujet un mémoire et obtint le prix. J’ajouterai que son livre fut imprimé à Paris et que plusieurs médecins lui ont emprunté des idées sans le citer jamais. Ce dont mon père, dans sa candeur, s’étonnait, en ajoutant seulement : «Qu’importe, si la vérité triomphe !».
Pour être pillées, les conceptions de Louis Berlioz le furent allègrement. Pourtant, le premier, il eut l’idée d’appliquer l’acupuncture à ses propres échecs thérapeutiques, reprenant les travaux de Penrhyn, Kämpfer et Dujardin, des siècles précédents.
C’est en 1811 qu’il publia le travail auquel Hector fait allusion et qui, édité à Paris chez Croullebois en 1816, porte le titre de Mémoire sur les maladies chroniques, les évacuations sanguines et l’acupuncture.
Cette étude, à l’époque taxée de « fort téméraire » aborde le problème des « sympathies locales » et sépare l’acupuncture de la saignée, Louis Berlioz précisant : «l’Acupuncture n’appartient sous aucun rapport aux évacuations sanguines ; elle peut seulement aider quelquefois à en établir les indications ».
Dans cet ouvrage de 343 pages, le docteur Berlioz, à la page 149, formule en ces termes un nouvel avertissement :
« La Société de médecine de Bordeaux proposa pour sujet d’un prix à décerner en 1809, la question suivante : « Quels sont les effets particuliers des différentes espèces d’évacuation sanguine artificielle, tant artérielle que veineuse ? ». Le Mémoire que j’envoyai au concours fut couronné. En 1810, la Société de médecine de Paris ayant reproduit la même question, mais avec plus de développement, mon premier travail fut fondu dans celui que je destinais à la solution du nouveau problème.
« Sept concurrents se présentèrent en 1812, parmi lesquels je fus distingué ; mais aucun n’ayant satisfait la Société, elle a remis le prix en 1813. Le 21 juin 1814, le jugement a été prononcé, et la palme académique a été adjugée aux docteurs Freteau et Lafond. Les rapporteurs de la Commission des prix, en donnant des éloges à mon Mémoire, et après l’avoir honorablement mentionné, déclarent qu’il est plutôt un traité sur les avantages de la saignée, qu’une réponse aux questions proposées.
«C’est donc sous les auspices de deux Sociétés savantes que je publie cet ouvrage ; et leur approbation m’autorise à croire que la lecture en peut être profitable. Vraisemblablement aussi, les expériences que j’ai faites relativement à l’acupuncture ne paraîtront pas dénuées d’intérêt. C’est un moyen curatif inusité jusqu’ici, non seulement en Europe, mais encore dans les autres parties du monde ; car les Chinois et les Japonais s’en servent d’une manière absolument empirique ; et leur pratique ne fournit aucun document qui puisse en régulariser l’emploi.»
Suivent un certain nombre d’observations.
Le premier cas, qui semble également être la première séance d’acupuncture jamais réalisée en Occident sous contrôle médical relève de l’auto-puncture, puisque c’est la patiente elle-même qui introduisit l’aiguille. On ne sait si Berlioz, pris de soudaine pusillanimité, n’a pas osé enfoncer l’aiguille. Dans son mémoire, Berlioz donne pour cette première observation la description suivante : « une jeune personne de vingt-quatre printemps, aussi intéressante par ses charmes extérieurs que par les agréments de son esprit et la bonté de son cœur, maigre naturellement et ayant les cheveux blonds, éprouvait depuis deux ans une fièvre nerveuse survenue à l’occasion d’une frayeur vive et prolongée.
Les accès se déclaraient entre huit et neuf heures du soir, soit qu’elle eût mangé ou non, cela n’apportait aucune différence. Ils étaient caractérisés par le froid des extrémités inférieures, une sécheresse très incommode de tout le corps, la couleur violette des joues, la douleur de tête ainsi que de l’épigastre qui semblait comprimé.
Les forces musculaires présentaient alors un tel degré d’affaiblissement que la tête avait besoin d’être soutenue… »
Suit ce qui semble être, d’après la description de Berlioz, le tableau d’une anorexie mentale.
Et celui-ci d’enchaîner :
« … Beaucoup de remèdes avaient été employés parmi lesquels le quinquina avait paru nuisible et le sulfate de zinc n’avait produit aucun effet : les bains de siège froids avaient constamment soulagé… Je songeai à l’acupuncture, je la proposai, elle fut essayée. La malade se servit d’une aiguille à coudre, enduite de cire d’Espagne vers son œil ; elle l’introduisait elle-même perpendiculairement d’abord et ensuite parallèlement aux parois abdominales, pour éviter la douleur. Dès la première piqûre, les accidents cessèrent comme par enchantement, et le calme était complet. L’opération n’eut pas besoin d’être renouvelée le même jour ; bien loin de là, le lendemain et le surlendemain, l’accès tenta vainement de se reproduire ; une espèce de souvenir de l’opération luttait avec avantage contre l’habitude mor- bide, ce qui engagea à ne pratiquer l’acupuncture que tous les trois jours. Cepen- dant, cette espèce de souvenir thérapeutique s’évanouit au bout d’environ deux mois ; et il fallut avoir recours aux aiguilles une ou deux fois par jour. Par ce moyen, la fièvre nerveuse fut complètement détruite après six mois de son usage.»
Peu après Berlioz pratique, lui-même cette fois, la deuxième séance sur « un paysan, âgé de 40 ans, atteint depuis un mois de toux convulsive avec douleur de l’épigastre. La toux le fatiguait — poursuit Berlioz — lorsqu’il marchait avec promptitude ; et il eut beaucoup de peine à faire deux lieues à cheval pour se rendre chez moi. Voyant l’inutilité des remèdes qui me réussissent le mieux contre la coqueluche, et m’occupant alors de recherches et d’expériences sur l’acupuncture,
je résolus de l’essayer en cette circonstance. L’introduction de l’aiguille dans la légion épigastrique ne lui semblant pas douloureuse, je continuai de l’enfoncer jusqu’à une profondeur telle que j’ai lieu de croire d’avoir percé l’estomac.
«L’instrument fut laissé en place pendant trois minutes sans que cet homme éprouvât de malaise ; et aussitôt après que je l’en retirai, il me dit qu’il était guéri. Il n’a pas éprouvé de rechute, en effet, et n’a même pas été malade depuis lors. »
Laissons encore pour la troisième observation la parole au docteur Berlioz :
« Un homme, tombé de dix à douze pieds de hauteur sur un tas de pierres, eut toute la partie postérieure du corps tellement meurtrie qu’il ne pouvait plus exécuter le moindre mouvement. Placé sur le lit, il gardait la position qu’on lui avait donnée. Onze piqûres sur la partie postérieure du cou dans l’espace d’une demi- heure lui permirent de lever la tête. La même opération répétée les jours suivants et, d’après ses instances, sur diverses parties, lui procure la liberté de se retourner seul dans son lit, et bientôt il fut guéri.»
Le docteur Haime, de Tours, disciple de Berlioz, cite en outre trois observations attribuées à celui-ci :
La première concernait une jeune fille de 24 ans, atteinte de hoquet. Une aiguille enfoncé au niveau du creux épigastrique stoppa le hoquet pendant trois jours. Plusieurs séances successives la guérirent complètement.
La deuxième concernait une femme de 38 ans atteinte de douleur rhumatismale avec névralgie intercostale très invalidante. Une aiguille fut introduite au point exquisément douloureux ; la douleur migra alors vers l’abdomen. Une seconde aiguille pourchassa alors cette irradiation, puis une troisième permit à la malade de recouvrer une respiration libre et indolore. Celle-ci s’écria « qu’on lui avait rendu la vie ».
Un troisième cas, cité d’ailleurs par Berlioz lui-même, concernait une douleur du membre supérieur d’étiologie rhumatismale localisée au bras. Une première séance fit descendre la douleur dans l’avant-bras et une deuxième la fit disparaître entièrement.
Dans son mémoire, le docteur Berlioz notait que, généralement, quatre ou cinq séances d’acupuncture étaient souvent nécessaires pour obtenir une amélioration et que l’acier semblait le métal le plus indiqué pour la fabrication des aiguilles.
Il préconisait également d’ajouter aux aiguilles l’effet d’un choc galvanique produit par un appareil de Volta afin d’en accroître l’efficacité : Berlioz apparaît ainsi comme un précurseur de l’électropuncture.
Sur la méthode elle-même de l’introduction de l’aiguille, il note : « Je l’introduis par rotation, en évitant les gros vaisseaux et les nerfs, et je m’arrête quelques secondes de temps en temps pour demander au malade s’il éprouve du soulagement. Quoique l’introduction perpendiculaire soit préférable, celle oblique peut être avantageuse ; dans tous les cas, il faut laisser l’aiguille en place quatre ou cinq minutes ».
En ce qui concerne les indications de l’acupuncture, Berlioz cite pêlemêle les contusions sans ecchymose, les douleurs d’effort en particulier lombaires, les rhumatismes, les « douleurs nerveuses de la tête, et celles qui surviennent durant le paroxysme des fièvres intermittentes ». Il la préconise dans la réanimation des asphyxiés.
Quant au mode d’action de l’acupuncture, Berlioz s’en préoccupa presque en même temps qu’il décrivait ses premiers cas. Il suggéra en effet la théorie d’un « fluide nerveux » avec une remarquable prescience, puisqu’on peut l’assimiler aux théories énergétiques connues et utilisées par les acupuncteurs du XXe siècle.
En tout état de cause, il réfuta d’emblée l’action prédominante de l’influence de l’imagination.
Berlioz avait, en introduisant l’acupuncture, ouvert une brèche dans laquelle beaucoup s’engouffrèrent. Certains, loin de lui en disputer la paternité, firent référence à ses travaux : ainsi Haime, à Tours, les fait connaître à Bretonneau, mais également à Cloquet qui, enthousiasmé, répand à Paris la pratique de l’acupuncture et l’applique sur plus de 400 malades à l’hôpital Saint-Louis.
Dans leur sillage, l’engouement est considérable ; en quelques années, 142 auteurs publient des articles, mémoires ou traités sur l’acupuncture ; Pelletan, Ampère et Becquerel en discutent à l’Académie des sciences. Dupuytren en parle dans ses cours ; Magendie publie à son sujet ; Laennec puis Trousseau et Velpeau malgré son scepticisme, s’y rallient et la pratiquent peu ou prou.
De 1824 à 1830, Trousseau, qui eut l’occasion de pratiquer l’acupuncture, écrivait : « Nous avons nous-même employé l’acupuncture un assez grand nombre de fois, pour traiter des rhumatismes musculaires, des douleurs fixes, des névralgies, etc.. Dans la plupart des cas, nous avons observé que la douleur ou le mal disparaissait immédiatement après la pénétration de l’aiguille dans le tissu ; c’est là, d’après les observations que nous avons pu recueillir, le phénomène principal le plus remarquable de l’acupuncture ».
Pendant ce temps, loin de l’agitation et du tumulte qu’il a pourtant déclenchés, le docteur Berlioz tente de vivre calmement, coincé entre ces deux êtres aussi inflexibles que volcaniques : Madame Berlioz et son fils Hector. Supportant les invectives de la première et se consacrant à l’éducation du second, il affichait une sérénité qui tenait autant de la mélancolie dépressive que de la sagesse.
Des épigastralgies tenaces l’obligeant à user de grains d’opium, il en prit même un jour trente-deux d’un seul coup et confessa par la suite à son fils « ce n’était pas pour me guérir ».
Ayant cessé d’exercer depuis longtemps, il mourut le 28 juillet 1848 à La Côte-Saint-André où il avait toujours vécu.
Assez curieusement, la disparition du docteur Berlioz coïncida plus ou moins avec les premiers signes du déclin de cette médecine chinoise qu’il avait pourtant remise en honneur.
L’intérêt considérable quelle avait suscité ne put résister aux erreurs de la pratique : la longueur des séances autant que celle des aiguilles, les problèmes septiques autant que les blessures anatomiques, et surtout la méconnaissance des lois fondamentales de la médecine chinoise, la réduisant à une simple « aiguillothérapie » eurent vite raison de cette acupuncture que le docteur Berlioz, esprit libre et novateur, n’avait qu’à demi ressuscitée.
Il faudra attendre un siècle, en juin 1929, pour que paraisse dans la revue L’Homéopathie Française un article intitulé : « L’Acupuncture en Chine et la Réflexothérapie moderne ». Il était signé Soulié de Morant.

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